La fabuleuse histoire du château de Berlin

Le mois dernier, fin novembre 2020, en pleine épidémie de Covid-19, le château de Berlin a réouvert ses portes après 7 ans de chantier. L'histoire du château est longue, agitée et le choix de sa reconstruction récente a beaucoup divisée les Berlinois. Reprenons depuis le début. 

Le 1er château de Berlin n'est pas très ancien car l'ancienne capitale du Brandebourg (la région historique où se situe Berlin), c'était Brandebourg-sur-la-Havel, à 70 km à l'ouest de Berlin. Le château de Brandebourg/Havel est, lui, très ancien : c. 930 ap. J.-C. Donc le château de Berlin est commencé au milieu du XVe siècle, vers 1440, et marque l'arrivée au pouvoir des Hohenzollern. L'architecture devait en imposer aux Berlinois, attachés à leur indépendance. Au XVIe siècle, l'électeur du Brandebourg modifie beaucoup l'ensemble en s'inspirant certainement de ceux de Saxe (cf. le château Hartenfeld à Torgau, sur l'Elbe, qui fût souvent représenté par Cranach). Il reste très peu de choses de ce 1er château qui sera presque entièrement modifié par Frédéric Ier, qui devient roi "en Prusse" et non de Prusse. L'ensemble devait aussi incarner sa nouvelle puissance et surtout le redressement des Hohenzollern après la très-destructrice guerre de Trente Ans. Les travaux sont menés par Andreas Schlutter et sont achevés en 1706 (il faut tout de même attendre 1850 pour voir la fin complète du projet de Schlüter). C'est donc la résidence des Hohenzollern jusqu'en 1918. En 1918, l'histoire de l'Allemagne se complique beaucoup. Les socialistes s'opposent : la camp le plus à gauche, mené par Karl Liebknecht, proclame la naissance de la République Socialiste Libre depuis le balcon du château (la façade fut même conservée et déplacée par les Socialistes du SED en 1954). Le drapeau rouge flotte sur le château. Liebknecht s'oppose à Philipp Scheidemann, qui incarne l'aile droite de la gauche (tout le monde suit ?) et qui proclame aussi, le même jour, depuis un autre balcon, celui du Reichstag, l'abdication du Kaiser et la naissance de la future République de Weimar. A cette date, le château est en parfait état. Il change cependant d'usage : le Kaiser ayant quitté les lieux, les socialistes ont transformé les lieux en musée des Arts Décoratifs. L'ensemble philharmonique de la ville y tient des concerts. En 1945, les alliés bombardent la ville et le château. Mais les photographies l'attestent : l'ensemble, s'il les intérieurs sont détruits, est restaurable. Mais, aux yeux des communistes qui prennent le pouvoir à partir de 1948, le bâtiment incarne le temps des privilèges, de la bourgeoisie et du passé. Il est dynamité et rasé. Vingt ans plus tard, sur le terrain abandonné, on décide la construction du Palais de la République (Palast der Republik), de fer et d'acier, inauguré en 1976. C'est le siège de la Volkskammer, le parlement de la RDA. Dans la partie consacrée aux concerts, de nombreux concerts sont organisés. En 2005, on décide de détruire ce bâtiment lui aussi chargé d'histoire, et de reconstruire un musée qui sera une copie conforme du château, dans son état d'avant-guerre. Retour vers le futur ? Régression ? En tout cas, l'intention affichée et violente de nier et de détruire l'histoire communiste de la ville a beaucoup choquée, d'autant que la partie Est du centre ville se retrouve face à une affreuse façade minimaliste sans caractère. Nous attendons l'ouverture des portes du désormais nommé "Humbolt Forum" pour juger de l'intérieur. 


Melli Beese, audacieuse pionnière de l'aviation

A-côté de chez nous, il existe un petit square "Melli-Beese". Le nom m'a intrigué et je savais que l'histoire de l'aviation à Berlin était intéressante (stimulé que j'étais par les déboires du récent aéroport). Il s'agit en effet d'une femme au parcours peu ordinaire : originaire de Dresde, elle fait ses 1ères heures de vol à l'aéroport de Johannisthal de Berlin (au sud-est, fermé en 1995). Sur des biplans des frères Wright alors utilisés. Elle eut fort à faire avec les hommes qui voyaient d'un très mauvais oeil l'arrivée d'une femme : son avion fut sabordé plusieurs fois pour la dissuader de voler. Après avoir obtenu son diplôme de pilote, elle décide d'ouvrir sa propre école de pilotage, dans une rue de Berlin qui porte aujourd'hui son nom. Elle conçoit aussi de nouveaux modèles d'avion (Beese-Taube). La première guerre mondiale interrompt son projet d'hydravion, conçu avec son mari, un Français, Charles Boutard (les avions qu'ils produisent portent d'ailleurs son nom). Elle pose ici avec en costume d'aviateur en fourrure, du meilleur effet. En 1919, le traité de Versailles interdisant toute industrie aéronautique, elle dû cesser son activité : école et production d'engins. Accro à la morphine (consommation initiée suite à un accident de vol), elle se suicide en 1925. Elle ne pouvait plus voler suite à un accident la même année et ne supportait pas d'être clouée au sol (c'est le sens de la note qu'elle laisse à son suicide). Une autre pionnière de l'aviation est la non moins audacieuse Käthe Paulus, inventrice du parachute, décédée aussi à Berlin en 1935 (magnifique photomontage ci-dessous de 1890, où Paulus semble tranquillement sauter d'une nacelle en osier). Vous pouvez lire un bon article sur Melli Beese ici.  


MELKUS : UNE FERRARI VERSION RDA

C'est durant une course automobile à Vienne en 1963, que le constructeur automobile Heinz Melkus aperçoit une Lotus Elan. Un tel modèle était alors chose alors très rare à l'Est. Il décide alors de se lancer dans la conception et la réalisation d'une voiture de sport semblable à la Lotus Elan, mais avec les moyens qui étaient les siens, c'est-à-dire, pas grand chose. Le premier modèle sortira en 1969, la RS 1000. Le modèle s'inspire clairement de la Ford GT 40 conçue par le britannique Eric Broadley en 1964. La réalisation était très compliquée : si les images de Ferrari et de Corvette tapissent les garages de Heinz Melkus, aucune possibilité pour lui de trouver un moteur Ferrari ou même Lotus. Il faut donc se débrouiller avec les moyens du bord : moteurs russes (Zhiguli ou Moskovich) et des bases de Wartburg, voiture bas de gamme produites à Eisenach, au cœur de la RDA. Chaque pièce provient d'un modèle différent, toujours Est-Allemand : les charnières des portes proviennent de la Skoda MD 1000 par exemple , et ainsi de suite. Un genre de voiture en kit. 

Une fois le prototype conçu, Melkus obtient, curieusement, l'autorisation de produire et de vendre cette magnifique et unique voiture sur le marché. Mais l'histoire ne dure que 10 ans : en 1979, il ne peut plus produire la RS 1000. Non pas faute d'acheteurs, mais faute de pièces. Seuls 101 exemplaires furent produits. Il faut aujourd'hui compter 50.000 euros pour un exemplaire en bon état. Si vous en trouvez un. 


9 novembre : jour du destin

Pour les Allemands, le 9 novembre, on ne plaisante pas : c'est le jour du destin. Vous allez comprendre. 

Le 9 novembre 1848, c'est l'exécution de Robert Blum, un député de Francfort qui a mené la révolution contre la monarchie allemande et autrichienne. Ca commençait mal. Le 9 novembre 1918, c'est la fin de la monarchie. Guillaume II abdique et laisse place à la République de Weimar. Ensuite, le 9 novembre 1923, c'est le 1er coup d'Etat d'Hitler, à Munich. Il ira quelques temps en prison (cinq ans tout de même), rédiger Mein Kampf. Le 9 novembre 1938, c'est la nuit de cristal. Des émeutes, dans tout le pays, organisées par les S.A., pillent, détruisent et incendient les magasins et maisons des familles juives. 267 synagogues sont brûlées dans le pays. Enfin, le 9 novembre, c'est la chute du mur de Berlin. Vous l'avez compris, le 9 novembre en Allemagne, c'est vraiment le jour du destin ! 


Le nouvel aéroport de Berlin : 8 ans et 8 milliards plus tard...

Cette semaine fut inauguré le nouvel aéroport de Berlin : "Flughafen BER / Willy Brandt". Décidé en 1996 en pleine réunification de l'Allemagne, ce nouvel aéroport devait remplacer les aéroports de Templehof, Tegel et Schönefeld, vieillissants. Après 8 ans de retard et 8 milliards dépensés en tout (2,2 étaient prévu au 1er budget), le chantier fut un véritable feuilleton catastrophique suivi par tous les Allemands et tous les Berlinois, pendant plusieurs années. Histoire à rebondissements garantis ! Dès le départ, le projet initial fut modifié pour ajouter un étage au bâtiment central. En suite, dès le début des travaux, des riverains bloquent le projet (nuisances sonores, non-conformité à différentes règles...  Il faut attendre 2006 pour que tous les procès soient gagnés par l'aéroport. En 2011, un comité de surveillance économique constate des malversations financières. C'est toute la rentabilité de l'ensemble du projet qui est mise en doute. En juin 2012, la 1ère inauguration est repoussée à la dernière minute. L'une des causes, c'est l'accumulation de strates administratives et politiques. Le réseau électrique s'avère finalement défectueux, mais la direction prépare la grande inauguration qui ne sera annulée que quelques jours avant. Trop d'entreprises interviennent sur le chantier. Personne n'a de vue d'ensemble sur le chantier. En 2013, il faut stopper le chantier et personne n'est capable d'éteindre l'électricité : pendant des mois, le chantier est illuminé en permanence. Cela devient un objet de moquerie. Finalement, en mars 2020, l'aéroport est près pour l'inauguration, mais il faut encore que 600 personnes viennent faire un test grandeur nature pour recevoir l'autorisation de la commission de sécurité. La crise sanitaire à repousser ce test de 7 mois ! D'autres chantiers ont totalement dérapé en Allemagne : la Philharmonie de Hambourg (budget 10x supérieur à l'initial et 10 ans de retard) ou la gare de Stuttgart. Comme quoi, l'Allemagne fait aussi des erreurs d'organisations, de gestion voire des malversations ! Encore un cliché qui tombe ! 

 


Cinéma UNIVERSUM : du beau pour tous

A 100 m de chez nous, on trouve un grand théâtre, la Schaubuhne. Autour de ce théâtre aux formes géométriques, tout un ensemble un brique de belle facture, mais défiguré par des enseignes commerciales. Il s'agit en réalité d'un grand complexe urbain conçu par un très grand architecte de l'entre-deux guerre : Erich Mendelsohn. Conçu dans les années 1928-30, l'ensemble est très grand et très ambitieux : nombreux logements, cinéma, commerces, garages pour voitures et cours de tennis au centre. L'hôtel qui devait était prévu fut finalement abandonné après le crash de 1929. Le projet s'oriente du résidentiel vers un ensemble culturel.  

Mendelsohn conçoit un ensemble en brique aux allures futuristes (le style de la "Nouvelle-Objectivité"), très cohérent et très ambitieux. Les dessins de Mendelsohn sont des chef-d'oeuvres de spontanéité et d'optimisme artistique.

Dans les années 1930, on sait de Vladimir Nabokov ainsi que Willy Brandt viennent jouer au tennis (on ne précise pas s'ils jouent ensemble...). La partie nord de l'ensemble, mais aussi le cinéma de 1.300 places furent lourdement bombardés pendant la guerre. Un cabaret comique est ensuite installé de le cinéma dont la taille fut réduite de moitié. Pendant l'occupation de cette zone de Berlin par les Anglais, l'organisation militaire anglaise en charge d'approvisionner les familles anglaises stationnées ici (NAAFI), s'installe dans la partie sud des bâtiments. En 1971, le théâtre de la Schaubuhne, installé au départ dans le quartier de Kreuzberg, s'installe dans les murs de l'ancien cinéma. Pendant toutes ses années, le bâtiment n'est pas classé. Les restaurations ne respectent pas le bâtiment et l'esprit de ce magnifique ensemble de Mendelsohn a en partie disparu. Demeure cependant aujourd'hui, malgré tout, un magnifique ensemble, témoignage de l'ambition sociale et sociétale de l'architecture avant l'époque Nazie. 


Eau et Gaz, pas à tous les étages

Hier, 10 octobre, le chauffage a été rallumé dans notre immeuble. Pas d'effort à faire, nous ne pensons même plus aux immenses difficultés que rencontrèrent les berlinois, tout au long du 20e siècle, pour s'approvisionner en eau (chaude) et en électricité. Un passionnant ouvrage vient de paraître sur la très complexe et houleuse question des infrastructures de Berlin. 5 moments de l'histoire de Berlin ont marqué la longue histoire des infrastructures de la ville. En 1920, à la création du Grand Berlin (voir infra), la ville agrège 7 communes et autant d'usines d'eau, d'électricité, de chauffage. La crise des années 1929/1930 freinera l'uniformisation des réseaux. L'époque Nazie aura curieusement les mêmes conséquences : le régime favorise les petites entreprises et donc, le morcellement des réseaux. Intéressant de noter que l'idéologie nazie est finalement réticente au capitalisme d'une façon générale. L'époque est aussi marquée par une absence de politique globale en matière d'énergies et d'infrastructures. Après la guerre, la séparation de la ville (1948) créée une situation sans précédant : pour Berlin-Est, peu de chose change car cette partie de la ville reste reliée aux réseaux (électricité, traitement des eaux, approvisionnement en charbon). Par contre, Berlin-Ouest doit faire face à de sévères restrictions (2h d'électricité par jour/foyer), étant totalement coupé de ses sources d'approvisionnement. Par la suite, des accords seront trouvés entre l'Est et l'Ouest (sur l'évacuation des eaux usées, les achats de charbon) - accords peu fiables dans l'ensemble. Le pont aérien de 1948-49 sera un grand moment de l'indépendance énergétique (pour le charbon surtout) et les usines de la ville. Finalement, au milieu des années 1950, la grande usine électrique Heizkraftwerk Reuter West se met à fonctionner et Berlin-West devient "Elektrissima", i.e., une grande ville très bien éclairée, la fameuse "vitrine du monde libre". A la chute du mur en 1989, il fallait réunifier des infrastructures totalement séparées, avec des modes de gestion très différents. Cette histoire des infrastructures à Berlin donne à voir une histoire très méconnue mais révélatrice des tensions de son histoire. 


Des "Stolpersteine" devant notre immeuble

Ce matin, mercredi 7 octobre 2020, trois membres de l'Association "Stolpersteine in Charlottenburg-Wilmersdorf." ont posé six pavés de béton recouverts d'une petite plaque de laiton, rappelant les membres d'une même famille qui habitaient jadis dans notre immeuble, détruit pendant la guerre. Quatre personnes – les plus jeunes – avaient la chance de s'enfuir en Palestine. Les deux autres furent déportés en 1942. L'Association existe à Berlin depuis 1996 (celle de notre quartier depuis 2000). Elle a installé près de 9.000 pavés de laiton dans Berlin. D'autres villes d'Allemagne ont suivi cette initiative ; ainsi, environ 75.000 pavés ont été installés dans tout le pays. D'autres pays d'Europe ont repris l'initiative. C'est une façon discrète mais néanmoins visible de se souvenir des personnes disparues. Les pavés forment ainsi une géographie mémorielle dans la ville. Le promeneur peut ainsi voir les maisons et les rues où vivaient les victimes déportées. 

Le quartier de Charlottenburg-Wilmersdorf où nous habitons est celui qui comptait le plus de familles juives avant la guerre. C'est aujourd'hui le quartier de Berlin où on l'on trouve le plus de Stolpersteine (littéralement : "Pierre sur laquelle on trébuche"). 


Karl Richard Lespius : égyptologue à moustache

En 1840, à Berlin et dans toute la Prusse, Frédéric-Guillaume IV arrive au pouvoir. Le roi, conservateur et ambitieux à la fois, lance un grand élan pour tourner la Prusse vers les arts : construction et rénovation de nombreux châteaux (certains sur le Rhin car la Prusse s'étendait alors jusque là). Il est aussi à l'origine de l'Alte Nationalgalerie et surtout de la collection égyptienne des musées de Berlin. Quand il arrive au pouvoir, la Prusse est en retard sur les autres pays européens en la matière : Londres avait une section égyptologique dès 1823, Turin présentait un musée entièrement dédié à l'Egypte dès 1824, le Louvre en 1826, etc. Pour faire rayonner la Prusse en Europe, les grandes collections d'art sont toujours un bon levier politique. Pour cela, il charge l'égyptologue déjà réputé à l'époque, Richard Karl Lepsius, de mener une grande expédition en Egypte et en Nubie, entre 1842 et 1845. Au cours de cette extraordinaire expédition-pillage, il visite et étudie Saqqarah, le Fayoum, Thèbes, Luxor, et Gizeh. Au sommet de la pyramide de Gizeh, il organise une petite fête pour célébrer l'anniversaire de son souverain-financeur, Frédéric-Guillaume IV, le 15 octobre 1842. Pour immortaliser l'événement, une magnifique petite aquarelle, un peu surréaliste, présente les principaux acteurs de l'expédition sous le drapeau prussien (Lepsius est en blanc). Lepsius rapportera énormément d'objets, grands et petits, à Berlin. Il rapporte aussi une immense documentation qui sera publié quelques années plus tard en 12 magnifiques volumes de planches gravées, Denkmäler aus Ägypten und Äthiopien. L'ouvrage aura un rôle immense. Rapidement, le chateau de Montbijou (rasé en 1950 par la RDA) ne suffit pas : un nouveau et superbe musée sera construit. Ouvert en 1828, il présentait de magnifiques salles peintes à la façon des temples, qui répondaient à la conception nouvelle de Lepsius : on classait pour la 1ère fois les objets de l'Egypte ancienne par époques et non plus par thèmes. Les décors réalisés autour des oeuvres ont été en partie restaurés en 2009, après les bombardements de 1945 et 70 années d'abandon total. Les photos de ce musée aux deux vies sont très impressionnantes (celles de la cour égyptienne comme du grand escalier ci-dessous). On a peine à croire qu'il puisse s'agir du même endroit. Lepsius a donc beaucoup apporté à l'égyptologie, à une époque marquée par l'esprit colonial et ambition débordante du jeune Royaume de Prusse. Le Neues Museum, qui conserve le fameux buste de Nefertiti (offert en 1920 par le Berlinois James Simon), est un musée incontournable à Berlin. 


1995 : le Reichstag emballé

Le 31 mai 2020, l'artiste bulgare naturalisé américain Christo est décédé à 85 ans. Avec son épouse Jeanne-Claude, ils avaient réalisé de nombreuses et magnifiques installations dans le monde. Durant l'été 1995, pendant deux semaines, le Reichstag de Berlin a été emballé d'un tissu gris métal et des cordes bleues. Cette oeuvre arrive à un moment-clé dans l'histoire de la ville, dont le mur est tombé 6 ans plus tôt. 

Christo a commencé sa carrière, dans les années 1950, en emballant, en enveloppant des objets du quotidien : une procédure qui consiste à cacher un temps pour que l'on voit mieux l'objet ensuite, pour nous déshabituer d'objets que l'on voit et que l'on manipule sans plus y prêter attention. "Il faut traquer la bête folle de l'usage" disait André Breton. Le drapé, dans la sculpture classique, est essentiel : Il permet de révéler des formes que l’œil distrait ne voit plus. Donc, Christo renouvelle une pratique ancienne tout en l'adaptant à notre monde. Leur 1ère installation en plein air se déroule en 1969, en Australie, et à partir de 1971, ils commencent à penser à s'attaquer à des bâtiments publics : le projet du Reichstag nait dès 1971, alors que le mur n'est là que depuis 10 ans. L'idée d'emballer le bâtiment est donc née en pleine guerre froide. Le projet est bien-sûr animé par un idéal démocratique ; l'idée étant que le bâtiment est bien visible depuis Berlin-Est, mais inatteignable. Mais le projet ne débute concrètement qu'en 1976. Si l'idée est rejetée à plusieurs reprises, c'est en raison des refus répétés des présidents du Bundestag de Bonn car Willy Brandt était favorable au projet dès les années 1970. Une fois que le Parlement eut voté la validation en 1994, il fallait faire vite car Christo et Jeanne-Claude souhaitaient que l'oeuvre soit installée avant le début des travaux et l'arrivée des grues. Comme tous les projets du couple, l'installation fut entièrement financée par la vente d'oeuvres d'art. 

L'oeuvre, par essence temporaire, a marqué un tournant dans l'histoire de l'Allemagne réunifiée. La fin d'une ville divisée et d'un pays désuni. Elle signale le retour de l'institution du Bundestag dans le bâtiment historique pour lequel il avait été créé. Elle marque l'orientation politique de la ville de Berlin qui décide à cette époque de tout miser sur la culture et la créativité : la plupart de l'outil industriel et financier de Berlin d'avant-1945 ayant quitté la ville. 

La grande réussite de l'oeuvre consiste d'une part dans le caractère éphémère du projet, mais aussi dans sa gratuité : chacun peut venir contempler à son gré l'oeuvre. Ce chef-d'oeuvre de Christo et Jeanne-Claude marque la croisée de l'histoire de l'Allemagne et de la carrière de Christo et Jeanne-Claude, aujourd'hui décédés tous les deux. 

 


Nestorstraße : Qui est Nestor ?

La rue dans laquelle nous habitons à Berlin a changée de nom en 1892 : avant appelée "Strasse 7" ("Strasse Sieben"), elle devient ainsi Nestorstrasse. Elle est nommée en la mémoire d'un prince-électeur du XVIe siècle, Joachim 1er Nestor de Hohenzollern (qui règne de 1499 à 1535). A cette époque, l'Allemagne n'existe pas : c'est un ensemble de duchés, d'Etats, de possessions de l'Eglise, de l'Empereur parfois, des évêchés et archevêques souvent. C'est un mille-feuille administratif car chacun possède (ou presque) son système de mesures (poids et distances), mais aussi de monnaies. Il est donc difficile de voyager (il faut des laisser-passer) et changer de monnaie très souvent (d'ailleurs, le carnet de route d'Albrecht Dürer qui voyage de Nuremberg vers les Pays-Bas en 1521 l'atteste très clairement). Au sommet de cette hiérarchie, domine l'Empereur. Il est élu par un collège de sept princes-électeurs (leur nombre et leur qualité varient au cours du temps), mais on peut retenir les plus importants : 

L'archevêque de Trèves / L'archevêque de Cologne / Le roi de Bohême / Le Comte palatin du Rhin / Le duc de Saxe /Le margrave de Brandebourg / L'archevêque de Mayence.

Ces 7 personnages sont essentiels dans le Saint-Empire. La fonction est plus qu'honorifique, elle s'accompagne d'un véritable pouvoir. Berlin ne devient la capitale de la Marche de Brandebourg qu'en 1417 (avant, c'est l'actuelle petite ville de Brandebourg-sur-la-Havel). Et la maison de Hohenzollern à laquelle appartient notre Nestor ne dirige la Marche (ou le Duché, c'est pareil) et ne possède le titre de Prince-Electeur que depuis 1415. Si le Saint Empire et la plupart des duchés qui le composent sont très anciens, le Brandebourg est certainement le plus récent et la famille des Hohenzollern la plus récemment entrée dans les cercles du pouvoir. Le choix de Berlin comme capitale de la nouvelle famille régnante témoigne de la volonté de puissance des Hohenzollern. Nestor est le 6e prince-électeur de Brandebourg à régner. Juste avant lui, le Brandebourg était dirigé par l'incroyable collectionneur de reliques et grand dépensier en la matière, Albert de Brandebourg qui a fait l'objet d'attaques très violentes par Luther qui voit en lui le Diable en personne. 

Bref, notre Nestor est contemporain de l'arrivée de la Réforme à Berlin dont il ne peut empêcher la progression. Il est resté célèbre aussi pour avoir fait tuer de nombreux Juifs. Il est aussi contemporain de la très historique élection de l'Empereur de 1519 pour laquelle s'oppose François Ier et Charles Quint. En temps qu'électeur, il a été très sollicité par les deux camps. Il votera pour Charles Quint. Cranach a peint à deux reprises son portrait (ci-dessous). Il apparaît une 3e fois dans un curieux portrait de groupe de la famille Hohenzollern peint aussi par Cranach. Il est l'un des personnages, l'un des cousins, sur la berge, assistant au baptême du Christ. 

 

En 1892, c'est tout un quartier de Wilmersdorf qui change le nom de ses rues et qui décide d'honorer les plus prestigieux princes-électeurs. Rappelons que Wilmersdorf est une ville indépendante de Berlin jusqu'en 1920. C'est une ville riche qui se targue d'avoir été fondée en même temps que Berlin, au début du 13e siècle. Notre rue est divisée en 2 parties par le Ku'damm : la partie nord est dans Charlottenburg et celle au sud, dans Wilmersdorf. Des personnages importants qui ont habité Nestorstrasse, j'ai seulement relevé Vladimir Nabokov qui réside au 22 de 1932 à 1937 (la photo en noir et blanc est celle de son immeuble - avant bombardements bien-sûr). 


1920 : Naissance du Grand-Berlin

Il y a cent ans cette année, en 1920, fut votée la loi qui fonde le Grand-Berlin passant ainsi de 1,8 millions d'habitants à 3,8 millions, devenant d'un jour à l'autre la 3e ville du monde, après Londres et New York. Cette loi permet à Berlin de lancer de grands travaux d'urbanisme et ouvre la voie au dynamisme de Berlin dans les années 1920. En effet, avant cette loi, c'est l'anarchie entre Berlin et les 7 villes indépendantes autour que sont Charlottenburg, Köpenick, Lichtenberg, Neukölln, Schöneberg, Spandau et Wilmersdorf. 7 villes et donc 43 usines de gaz, 17 usines de retraitement des eaux et 15 centrales électriques différentes. En 1912, il y avait 16 compagnies de tramway différentes et donc des tarifs différents. Certaines (petites) villes comme Schöneberg avait leur ligne de métro, de 4 ou 5 stations, non connectée aux autres. 

Cette loi va permettre d'uniformiser la ville : écoles, logements, infrastructures de transport, etc. Elle lance le véritable développement de la ville. Les grands centres industriels comme Börsig, Siemens ou AEG étaient implantées dans des villes indépendantes, proches de Berlin, mais ne partageant pas le même réseau d'approvisionnement (gaz, eau, égouts, électricité) ou encore de  transport.

Cette création du Grand-Berlin s'est faite avec un léger retard (Vienne en 1890 et Londres en 1889) en raison surtout des villes riches comme Charlottenburg qui ne voyait pas d'avantages à être associées à des villes plus pauvres. Cette question de l'uniformisation de la ville se posera de nouveau quand Berlin sera divisée à partir de 1961, avec des problématiques inverses. 

 

En photo, quelques images de Berlin : Eglise du souvenir (à la limite Charlottenburg / Berlin) en 1920 / Grand magasin Wertheim Leipziger Platz, 1920 / Vue en plongée de la Potsdamer Platz / Carte postale de la place derrière le chateau de Berlin, c. 1920. 


8 mai 1945 à Berlin : année zéro

Berlin fut bombardé dès 1940, mais les bombardements les plus destructeurs furent menés par les Anglais à partir de 1943, au coeur de la "guerre totale". Jusqu'à cette date, Berlin avait été relativement épargné. Les objectifs des Anglais sont le centre-ville de Berlin, mais aussi Siemensstadt, le grand complexe industriel à l'ouest de Berlin. La destruction de Hambourg par le Général Arthur 'bomber' Harris fait craindre aux Berlinois un sort semblable. Ainsi, la ville construit en 1944 de nombreux systèmes de défense. A partir de novembre 1943 jusqu'en mars 1944, ce sont plus de 400 bombardiers qui vont détruire la ville. Mais c'est un demi succès pour les Anglais qui perdent de nombreux avions et pilotes. 

La bataille de Berlin, qui se déroule du 16 avril au 1er mai 1945, laisse Berlin exsangue. Il avait été décidé avant la fin de la guerre que la prise de Berlin reviendrait aux Soviétiques, qui vont engager 2,5 millions de soldats pour cette bataille finale. L'objectif final est la prise du Reichstag le 1er mai, le jour des travailleurs, essentiel pour la mise en scène de la grande victoire soviétique. Les combats sont acharnés dans Berlin entre le 20 avril et le 1er mai. La bataille achève ce qui restait encore debout.

A la fin de la guerre, signée le 8 mai 1945, de nombreuses photographies et films sont enregistrés et donnent une idée du spectacle hallucinant. L'un des 1er films réalisés à Berlin après la libération (et pendant), fut le film de propagande soviétique La Chute de Berlin - 1945. Les scènes sur Berlin en mai 1945 commencent à 45' avec la pose du drapeau rouge sur le Reichstag et des vues dans la chancellerie d'Hitler en ruine. Quelques mois plus tard, l'armée américaine tourne un film en couleur dans la ville en ruine : on peut y voir, outre l'état de la ville elle-même, le travail des femmes qui déblaient (elles étaient rémunérées par le Sénat de Berlin). En 1948, le cinéaste italien Roberto Rosselini réalise Allemagne Année Zéro qui montre le fascinant spectacle de Berlin en ruine. Enfin, aussi en 1948, Billy Wilder réalise la comédie A Foreign Affair qui se déroule dans Berlin en ruine.  La scène magistrale de Marlene Dietrich chantant Dans les ruines de Berlin est devenue mythique. 


Mode et politique à Berlin-Est

On aurait tord de penser que l'Allemagne de l'Est était déconnectée des phénomènes de mode et où le conformisme vestimentaire régnait majoritairement. A Berlin en particulier, il existait une scène artistique marginale et créative, qui résistait à la conformité imposée par le régime de la "SED" (parti unique d'Allemagne de l'Est). Plusieurs groupes de créateurs de vêtements comme "Allerleirauh" et "Chic, Charmant und Dauerhaft" ont inventé des tenues, pour hommes et femmes, des défilés un peu déjantés et des lignes de vêtements punk-destroy. Le principal problème était l'illégalité des shows (plus ou moins forte en fonction des périodes), mais aussi, plus prosaïquement, l'approvisionnement en matières premières : peu ou pas de choix de tissus ou d'accessoires. Le résultat est un mélange curieux d'esthétique punk, queer, skinhead, et costumes du XIXe récupérés dans les greniers (les défilés et les photos dans Berlin-Est sont éloquentes). En 2009, l'amusant film "Comrade Couture" donnait la parole aux acteurs de cette période. (Bande-annonce). 

Sur un autre registre, dans la vie quotidienne, le magazine de mode "Sybille" a beaucoup influencé la mode vestimentaire. Animé par Sybille Bergmann, cette revue de mode surtout féminine, mais pas uniquement, était autorisée - mais surveillé - par le régime. La revue proposait des modèles pour la femme travailleuse. Les modèles proposés, et les patrons qui allaient avec, étaient pratiques, confortables et modernes, adaptés aux "femmes d'aujourd'hui". D'ailleurs, on notera au passage que les femmes étaient plus actives en Allemagne de l'Est qu'à l'Ouest - quand bien même les dirigeants étaient uniquement des hommes. "Sybille", crée en 1956, et illustrée par les meilleurs photographes d'Allemagne de l'Est, proposait des idées de créations dans un monde sans magasin de tissu et où la grande distribution était quasi inexistante. Des robes en tissu-papier, de la transformation de vêtements de travail. L'arrière fond de ces photos est souvent une usine ou bien une ferme. Une esthétique unique que quelques expositions ont présentée ces dernières années. 


LES EUROPA SCHULE DE BERLIN

Il existe à Berlin 33 écoles qui dépendent du système dit "Europa Schule". L'idée est née dans les années 1980 dans une association de parents pour promouvoir d'avantage d'intégration européenne à Berlin et pour l'apprentissage de langues étrangères. Le Sénat de Berlin Ouest, ville alors divisée, n'a pas suivi l'idée dans un 1er temps. Puis, à la chute du mur, la municipalité a décidé de reprendre l'idée initiale. C'est alors que sont nées les 1ères écoles bi-langues du système "Europa-Schule", créé donc en 1992. D'abord avec 3 branches linguistiques : allemand-français / allemand-anglais / allemand-russe. Au cours des années 1990, d'autres écoles ont été ouvertes et d'autres langues sont enseignées en même temps que l'allemand : allemand-grec / allemand-italien / allemand-polonais / allemand-espagnol / allemand-turc. 

Le principe général est le suivant : parité de l'allemand et de l'autre langue pour le temps d'enseignement. Les classes sont divisées par 2 pour moitié du temps entre "Muttersprache" (langue maternelle) et "Partnersprache" (langue partenaire). Chaque classe possède 2 enseignant-e-s et 2 assistant-e-s. Les classes sont peu chargées : environ 20 élèves en moyenne. Les journées sont légèrement plus long que dans une école non bilingue. A partir de la 5e année (CM1 en France), les élèves choisissent une 3e langue. Et au baccalauréat (Abitur en Allemagne), tous les élèves possèdent le niveau C2 dans leur langue partenaire, le plus haut niveau possible. Ces 33 écoles sont donc publiques et gratuites. Une étude de ces 33 écoles a été réalisée en 2016 a montré que le processus d'immersion était une réussite et que la réussite scolaires des enfants était égale à celle des autres élèves. 

Le petit film suivant a été réalisé l'an dernier montre la façon dont fonctionne ces écoles. 



L'Europa Schule "Judith Kerr" dans le quartier Schmargendorf de Berlin.